Me Jean-Yves Simard, associé
Me Camille Chapdelaine, sociétaire
Un récent jugement de la Cour supérieure, Syndic de Budker, 2025 QCCS 229, illustre le défi considérable qui attend un syndic de faillite qui veut faire déclarer un acte de fiducie inopposable aux créanciers d’un failli. L’affaire rappelle le principe fondamental de la séparation et de l’autonomie du patrimoine fiduciaire.
Vladimir Budker émigre au Canada en 1998 avec femme et enfants. En 2002, il obtient sa licence de courtier immobilier. Suivant l’avis de ses conseillers, il crée la Fiducie Familiale Budker en 2009, dont il est fiduciaire avec sa femme et un ami, Vasserman. Les bénéficiaires de la Fiducie sont Budker, son épouse et leurs enfants. La Fiducie investit principalement dans des projets immobiliers qu’elle finance par emprunts privés, tandis que Budker continue sa pratique de courtage immobilier. En 2015, il vend la résidence familiale à la Fiducie qui en paie la juste valeur marchande.
À compter de 2016, un dénommé Marmaros consent des prêts à la Fiducie. En 2018, ceux-ci font l’objet d’une consolidation et reconnaissance de dette par Budker personnellement. Impayé, Marmaros poursuit Budker et obtient jugement en juillet 2022 pour $3,5M[1]. Budker dépose une proposition concordataire qui est rejetée par le vote de Marmaros, pratiquement seul créancier, provoquant la faillite de Budker en janvier 2023.
Sur les instructions de Marmaros, le syndic dépose une requête en inopposabilité basée sur les articles 1631 du Code civil du Québec et 95 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité par laquelle il demande à la Cour de déclarer inopposable l’acte de fiducie de 2009[2] ainsi que toute transaction à laquelle la Fiducie a été partie. Le syndic plaide que la constitution de la Fiducie a été faite en fraude des droits des créanciers et que Budker l’utilise d’une manière à s’avantager personnellement, confondant le patrimoine de la Fiducie avec le sien et de manière à se rendre personnellement insolvable.
La Cour rappelle que, pour obtenir gain de cause, le syndic avait le fardeau de démontrer les éléments suivants :
- Une créance certaine et antérieure à l’acte juridique contesté;
- Un préjudice causé aux créanciers par cet acte ;
- L’intention frauduleuse du débiteur ;
- La mauvaise foi du cocontractant du débiteur.
La Cour rappelle que le Code civil contient des présomptions de fraude aux articles 1632 et 1633 C.c.Q. Toutefois, ces présomptions ne s’appliquent que du moment où il est démontré que le débiteur est insolvable au moment de passer l’acte ou le devient en conséquence. Or, le syndic n’avait aucune preuve à offrir quant à la solvabilité de Budker au moment de la création de la Fiducie en 2009.
Le syndic plaidait que le fait que Budker était à la fois fiduciaire et bénéficiaire de la Fiducie démontrait la confusion des patrimoines. Or, l’article 1275 C.c.Q. permet une telle situation dans la mesure où l’un des fiduciaires n’est ni le constituant ni un bénéficiaire. Même si la preuve a démontré que le troisième fiduciaire Vasserman jouait un rôle très effacé et que « Budker est le maître du jeu. Il décide de tout. », l’argument du syndic est rejeté.
En somme, la Cour a examiné la preuve avec attention et a conclu qu’elle ne permettait pas d’établir que la Fiducie n’était qu’un artifice ou que Budker en faisait une utilisation abusive. Certes, Budker participait activement à la gestion de la Fiducie mais, selon la Cour, cela ne permettait pas pour autant de conclure que Budker cherchait à confondre son patrimoine personnel et celui de la Fiducie. La structure légale des entreprises de Budker et les transactions financières soulevées au procès ne suffisaient pas pour tirer la conclusion que la Fiducie était un simple artifice destiné à frauder les créanciers.
La Cour a donc rejeté le recours du syndic.
Ce jugement rappelle, en s’appuyant sur celui de la Cour d’appel dans Levasseur c. 9095-9206 Québec inc., 2012 QCCA 45, que le fardeau de preuve est bien lourd pour les créanciers (ou les syndics) lorsqu’il s’agit de faire déclarer une fiducie familiale inopposable à leur égard, notamment en ce qui concerne l’intention de frauder du débiteur ou la mauvaise foi de ses cocontractants. Les présomptions de fraude prévues aux articles 1632 et 1633 C.c.Q. peuvent aider leur cause mais encore faut-il, pour qu’elles soient applicables, réunir des éléments de preuve très convaincants.
La fiducie demeure un concept reconnu dans le Code civil du Québec : il s’agit d’un patrimoine d’affectation autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaire et du bénéficiaire. La fiducie n’est toutefois pas à l’abri des recours que peuvent intenter les créanciers du constituant, du fiduciaire ou des bénéficiaires, si les circonstances de sa constitution ou l’usage qui en est fait démontrent une fraude envers les créanciers. L’affaire Budker illustre que cette démonstration n’est pas toujours facile à faire. De manière plus significative, cette affaire démontre que la fiducie familiale de protection d’actifs peut être efficace à condition de respecter les règles du jeu.
[1] Marmaros c. Budker, 2022 QCCS 2718, appel rejet sur requête : 2022 QCCA 1620. Marmaros ne prétend pas que la Fiducie est sa débitrice après la consolidation de dettes de 2018.
[2] Le syndic de faillite parait avoir le bras bien long : en effet, l’article 1635 C.c.Q. semble permettre au syndic d’attaquer des transactions éloignées dans le temps (14 ans dans le cas présent) à condition d’agir dans l’année de sa nomination.