À retenir : La clause de pénalité d’un contrat qui prévoit une réduction de la valeur d’un actif en cas de faillite peut ne pas être opposable au syndic de faillite. Aussi, elle est réductible si elle est abusive.
La Cour d’appel du Québec confirme que la règle anti-privation s’applique au Québec.
En 2020, dans l’arrêt Chandos Construction Ltd c. Restructuration Deloitte inc.[1] (ci-après « Chandos »), le plus haut tribunal du pays cristallise l’application de la règle anti-privation dans les provinces canadiennes, « laquelle rend nulle les stipulations contractuelles ayant pour effet de réduire la valeur de l’actif au détriment des créanciers. »[2]
Plus récemment, dans l’arrêt Syndic de 9283-9034 Québec inc. (ci-après « Syndic de 9283 ») [3], la Cour d’appel du Québec confirme que ce principe découlant de la common law s’applique également au Québec.
Dans cette affaire, un contrat de financement par cession de créances (affacturage) était intervenu en 2019 entre Distnet et 9283 par lequel cette dernière cédait ses créances à Distnet en contrepartie de fonds immédiatement disponibles. Le contrat contenait une clause de pénalité en cas de faillite de 9283 allant jusqu’à 50 000 $. En août 2021, 9283 dépose un avis d’intention de faire une proposition à ses créanciers puis fait faillite en décembre 2021. Distnet doit des sommes à 9283 pour la cession de créances en sa faveur, mais retient la somme de 50 000 $ en application de la clause pénale du contrat. Le syndic de 9283 intente alors un recours pour récupérer cette somme au bénéfice des créanciers.
Le juge de première instance se prononce sur cette retenue et conclut qu’elle est déclenchée par la faillite de 9283 et a pour effet de réduire l’actif de 9283 en privant ses créanciers d’un montant de 50 000 $. Appliquant la règle anti-privation découlant de la common law, le juge déclare nulle la clause de pénalité et ordonne à Distnet de remettre la somme de 50 000 $ au syndic de 9283.
En appel, Distnet plaide entre autres que la règle anti-privation ne s’applique pas au Québec. Sous la plume des honorables juges Dutil, Gagné et Cotnam, la Cour d’appel rejette l’appel et confirme les conclusions du jugement de première instance.
D’abord, la Cour d’appel rappelle que l’objectif de la règle anti-privation s’inscrit dans les objectifs visés par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI »), et plus précisément l’article 71 LFI :
« [24] Un des aspects importants de la LFI est de garantir un traitement équitable aux créanciers. Or, la règle anti-privation donne effet à une interdiction implicite de la LFI qui « empêche des parties de s’entendre pour retirer de l’actif d’un failli certains biens qui auraient autrement été dévolus au syndic. »[4]
Ainsi, sont nulles les clauses qui empêcheraient que les actifs d’un débiteur failli soient dévolus au syndic, car ces stipulations déjouent les interdictions implicites de la LFI. Pour déterminer si cette règle est enfreinte, la Cour d’appel reprend les deux critères établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chandos, lesquels s’énumèrent comme suit :
« [26] […] 1) l’application de la clause doit être déclenchée par une insolvabilité ou une faillite; et 2) la clause doit avoir pour effet de réduire la valeur de l’actif de la personne insolvable. […] » [5] Qui plus est, la Cour d’appel statue que la règle anti-privation s’applique de sorte qu’il n’est pas utile de référer à l’article 1623 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). Cet article prévoit qu’un tribunal peut réduire une pénalité stipulée dans un contrat si cette pénalité est abusive dans les circonstances. La Cour d’appel, dans une autre décision rendue en 2023 dans 9085-3664 Québec inc. c. Succession de Boutin[6], avait d’ailleurs appliqué l’article 1623 C.c.Q. dans une affaire de bail emphytéotique pour réduire la pénalité de 25 $ par jour et les intérêts de 18 % stipulés dans le bail, car elle avait pour résultat d’imposer l’équivalent d’un intérêt de 380 % au locataire en défaut. La Cour a ainsi réduit la pénalité en retranchant la pénalité de 25 $ par jour, tout en maintenant l’intérêt de 18 % sur les loyers dus.
À la lumière des décisions Syndic de 9283 et Succession de Boutin de la Cour d’appel du Québec, il est important de porter une attention particulière dans la rédaction de clauses de pénalité dans les contrats, car elles pourraient ne pas toujours avoir l’effet escompté au moment de leur rédaction. Leur application peut être remise en cause et soumise à l’examen des tribunaux.
[1] Chandos Construction Ltd c. Restructuration Deloitte inc., 2020 CSC 25
[2] Syndic de 9283-9034 Québec inc. [Syndic de 9283], 2023 QCCA 938, par. 22.
[3] Ibid.
[4] Syndic de 9283, par. 24.
[5] Ibid., par. 26.
2023 dans 9085-3664 Québec inc. c. Succession de Boutin[1], avait d’ailleurs appliqué l’article 1623 C.c.Q. dans une affaire de bail emphytéotique pour réduire la pénalité de 25$ par jour et les intérêts de 18% stipulés dans le bail, car elle avait pour résultat d’imposer l’équivalent d’un intérêt de 380% au locataire en défaut. La Cour a ainsi réduit la pénalité en retranchant la pénalité de 25$ par jour, tout en maintenant l’intérêt de 18% sur les loyers dus.
[6] 9085-3664 Québec inc. c. Succession de Boutin, 2023 QCCA 697.